Remarque

Cette page du site APPEISA est une reprise, par son auteur, d'une page écrite fin 2012, pour un site internet disparu depuis.

La puissance des forces qu'elle utilise en fait une technologie lourde, complexe et demandant un savoir-faire impeccable, par certains aspects secrets. C'est bien sûr dû à la puissance des forces elles-mêmes, mais aussi à l'existence des déchets de la réaction ayant lieu au sein du réacteur de type actuel (fission… incomplète en pratique), déchets radioactifs qu'il faut gérer sur le long terme, lors d'un usage normal… qu'il faut gérer malgré soi sur le long terme, en période de crise industrielle.

Après Tchernobyl, après Fukushima… quel est l'état des lieux ? quelles sont les voies possibles ?

L'électricité nucléaire, en 2010

En 2010, les besoins mondiaux en électricité étaient couverts à 15 % par la fission nucléaire. En termes d'énergie primaire, cela correspond à 5 % de toute l'énergie utilisée dans le monde, toutes filières, tous usages confondus.

Environ 450 réacteurs produisent de l'électricité et quelques dizaines sont en construction ou en phase de projets avancés. Chaque réacteur utilise de l'uranium faiblement enrichi (en U235 par rapport à l'uranium naturel). Les réacteurs fonctionnent, en général en régime constant (cf. le cas particulier de la France), pendant environ 8000 h sur les 8760 heures d'une année. Les quelques semaines d'arrêt servent à l'entretien et au déchargement/chargement d'une partie du combustible (au total le combustible reste plusieurs années dans le réacteur).

La puissance de chaque réacteur est considérable, de quelques centaines de MW à 1450 MW (réacteur de Chooz, Ardennes, France). Différentes filières ont été développées (graphite/gaz, eau bouillante, eau pressurisée) présentant des modes de gestion différents (en particulier de sécurité). Compte tenu des obligations de sécurité la température de fonctionnement des réacteurs est relativement basse (≈ 300°C) impliquant un rendement thermodynamique assez faible (33%) comparé à ceux des centrales modernes charbon et surtout gaz. La plupart du temps les réacteurs fournissent de l'électricité de base, ceci étant affirmé comme le résultat de l'incapacité de la technologie à suivre les variations de l'offre et de la demande. C'est loin d'être vrai en France : ce qui est sûr c'est que dans de nombreux réacteurs, les variations de puissance modifient le contenu isotopique des déchets, induisant ainsi un coût financier.

EnFrance, les réacteurs sont plutôt éloignés des centres urbains, aussi la cogénération de chaleur (théoriquement possible) n'est que peu employée.

Afin d'assurer une production régulière d'électricité le combustible nucléaire est déchargé avant que son rendement ne s'affaiblisse trop. Il s'ensuit qu'une partie des réactions de fissions et de diverses événements de radioactivité exothermiques reste inutilisée (ces réactions se produisent alors dans des "piscines" à l'extérieur des réacteurs jusqu'au moment où le combustible usé est suffisamment refroidi, permettant ainsi un retraitement ou une mise en œuvre de la gestion des déchets).

Quelques usines (exemple, La Hague en France) retraitent les combustibles usés, séparant divers actinides d'activités diverses et préparant une (seule) deuxième vie pour le combustible (nouvel enrichissement, utilisation du plutonium apparu dans les réacteurs à partir du combustible initial). Ce MOX est utilisé dans certains réacteurs.

Une grande partie des combustibles usés sont en conservés sans retraitement, en particulier conservés en vue d'un usage ultérieur lorsque seront mis au point les réacteurs de génération IV, permettant une augmentation de plus de 50 fois les réserves d'énergie de la seule filière uranium (dans les filières actuelles les réserves sont de l'ordre d'une centaine d'années, à production actuelle).

Faiblesses et risques du nucléaire

La force du nucléaire réside dans l'impressionnante densité de l'énergie récupérable par le phénomène de fission, comparée à celle contenue dans les liaisons chimiques qu'utilisent les centrales carbonées (charbon, gaz, pétrole, bois…).

Les faiblesses sont connues. La gestion d'un cœur de réacteur consiste à dominer la réaction en chaîne qui, libérée, a mené en 1945 à la bombe atomique. Les centrales les plus modernes rendent pratiquement impossibles cette réaction en chaîne non contrôlée (le contre-exemple est l'événement ayant eu lieu à Tchernobyl) mais d'autres événements peuvent se dérouler et causer des catastrophes.

L'accident majeur qui arrivé à Fukushima en 2011, suite à l'énorme tsunami, illustre malheureusement la complexité de la gestion lors d'événements imprévus. En 2012, l'analyse de la chaîne des événements était encore en cours, mais si les cœurs des réacteurs des centrales japonaises ont bien réagi, c'est la perte de refroidissement des cœurs et des piscines qui ont mené à la dispersion  de quantités très importantes de radionuclides, dans les airs, dans l'eau et, par dépôt, dans le sol. Le coût environnemental se traduit aussi par un coût humain que subissent les personnes déplacées, peut-être définitivement sur certaines petites portions du territoire tant les pollutions radioactives terrestres sont longues à disparaître pour certains isotopes. En ce qui concerne les eaux des océans la dispersion sera plus rapide et les effets de long terme réduits, relativement à la quantité des eaux et à la radioactivité naturelle ; cependant dans les premiers temps des pollutions locales peuvent apparaître compte-tenu des concentrations successives opérées le long de la chaîne alimentaire.

Le coût industriel d'un tel accident est bien sûr gigantesque : arrêt définitif de certaines tranches, re-sécurisation poussée des centrales en place, reconstruction de centrales ou de leur équivalent pour retrouver une production électrique suffisant à l'industrie et à la vie économique générale. Sans compter le coût du démantèlement.

Il est alors naturel que les différents états s'interrogent sur leur développement électrique futur, à court, moyen ou long terme.

Cet accident a été aussi l'occasion de rediscuter du contenu du programme électro-nucléaire, dans une analyse complète du cycle de vie. En particulier nombreux sont ceux qui s'interrogent (ou qui ne s'interrogent plus) sur les possibilités du démantèlement et la gestion sûre des déchets de tous ordres. Pourtant le démantèlement a déjà été effectué sur un certains nombre de sites. Cela peut-bien sûr être long (le cas de la centrale de Brennilis [Bretagne] est souvent cité, mais il s'agit un réacteur historiquement très particulier) ; les scénarios de traitement des déchets, à courte, moyenne, longue ou très longue vie sont définis.

Par ailleurs, une industrie complexe nécessite une main d'œuvre parfaitement formée, une mémoire du savoir-faire coûteuse à conserver et à transmettre : la tentation est alors grande d'évacuer le problème définitivement, en allant même jusqu'à s'interdire les recherches sur des filières nouvelles d'énergies nucléaires (génération IV ---> réacteurs à neutrons rapides, études sur la fusion nucléaire). De plus, la fermeture des filières de formation des techniciens et ingénieurs réduisent les possibilités d'une relance demandant volonté et durée.

Alors, réduire la part du nucléaire, sortir du nucléaire ?

Les 5 % d'énergie primaire correspondant à la filière nucléaire mondiale paraissent à certains comme une raison d'espérer une sortie du nucléaire sans trop de difficultés, compte tenu de la part relativement faible de la filière. En pratique ce n'est pas si simple puisque l'électricité nucléaire, dans une analyse du cycle de vie complet, reste une source de gaz à effet de serre très faible (les estimations tournent entre 10 et 100 gCO2/kWh). Le risque est grand de voir se réaliser une sortie du nucléaire et une augmentation de la production mondiale associée des GES.

Comment alors satisfaire des besoins croissants (on peut ici ou là toujours espérer une baisse de la consommation [dans les pays fortement développés en particulier], mais au niveau mondial les besoins sont criants, par endroits absolument nécessaires [chaîne du froid]), comment remplacer les centrales nucléaires, et en même temps réduire l'appel aux énergies carbonées fossiles de plus en plus rares, ou de plus en plus coûteuses financièrement et environnementalement [que penser du développement des gaz de schistes, des huiles des sables bitumineux… de la sécurité des captage de CO2 pour un appel à une montée en puissance de l'électricité de centrales au charbon] ?

Certains organismes prévoient des possibilités de développement des énergies renouvelables, dont une part concerne directement ou indirectement la production d'électricité permettant à l'horizon 2050 un appel fort réduit aux énergies fossiles, et à l'énergie nucléaire. Des plans ont été établis ici et là, et appliqués, (en Allemagne, aux USA [en Californie, par exemple], dans l'UE), donnant les grandes lignes de la production électrique, au niveau de continents entiers, avec même des échanges intercontinentaux (projet DESERTEC, par exemple).

Les principales sources sont déjà déclinées, utilisant des technologies existantes, telles l'éolien, le solaire (photovoltaïque et thermodynamique), l'hydraulique, bien sûr. Sources centralisées des lacs de barrage ou des grosses unités à venir du solaire industriel, sources centralisées des gros parcs éolien offshore. Sources hyper-décentralisées des petits parcs éoliens, des multiples installations photovoltaïques individuelles. Sources à naître ou à développer : hydroliennes, électricité de cogénération (déchets, méthanisation…)

L'on connaît la difficulté commune à certaines de ces filières, à savoir l'intermittence - solaire, éolien, hydroliennes en partie -, sans compter les fluctuations de l'hydraulique les années de sécheresse. La réponse est alors le foisonnement des sources diverses et surtout l'utilisation de moyen de mise en conserve de l'électricité (en particulier les Stations de Transfert d'Energie par Pompage).

Tout ceci était sensé, et est toujours sensé, en 2022, permettre à terme un lissage de la production et aussi un équilibre entre la consommation et la production. A noter ici que les compteurs électriques de nouvelle génération (compteurs intelligents) devraient permettre au minimum une diminution des pointes de consommation, et peut-être, par la prise de conscience des particuliers des consommations de leurs divers appareils, une certaine réduction.

Mais, il ne faut surtout pas cacher que cet équilibre offre-demande, tenant compte de la dispersion des productions, demande un maillage de transport de l'électricité important et fiable. Le développement de toutes ces filières électrique impose un réseau HT ou THT, en courant alternatif ou continu de très grande ampleur. Le problème n'est absolument pas spécifique aux centrales nucléaires. Les lignes THT resteront présentes ; il se peut qu'un jour elles soient enterrées. Par ailleurs, la pérennité de la qualité de l'électricité (tension, phase et fréquence) est beaucoup plus difficile (et onéreuse) avec la multiplication des petites sources.

Le cas français

En matière d'électricité nucléaire, la France a servi de référence, ou de mauvais exemple. Il était dit que ses 58 réacteurs produisait 80 % de l'électricité consommée par la population… tout comme l'on disait que l'éolien danois fournit 20 % de l'électricité consommée par les habitants du petit royaume nordique.

C'est confondre production et consommation. L'interconnection entre le Danemark et ses voisins permet l'usage à l'extérieur des frontières de l'électricité éolienne lorsque le vent souffle trop pour la consommation intérieure, et inversement l'importation d'électricité norvégienne ou allemande fournit de l'électricité au Danemark, lorsque le besoin s'en fait sentir. Il est de même en France, avec ses voisins anglais, italiens, allemands ou suisses… par moment.

D'un autre côté l'exemple français montre que l'énergie nucléaire révèle une certaine souplesse dans le suivi de la demande. Par moments le nucléaire français apparaît être utilisé en semi-base plutôt qu'en base comme il peut être observé lors d'un suivi du site de RTE (Réseau de transport électrique) comparé à celui de REE (Red Electrica de Espagña), les réacteurs futurs sont prévus pour accepter une certaine souplesse.

58 réacteurs incapables, dit-on, de satisfaire aux pointes des soirées d'hiver, au point que l'on importe alors d'Allemagne des kWh très fortement carbonés. En pratique le fait que ces kWh proviennent d'Allemagne n'est pas très important, ils eussent pu venir de centrales souples, par exemple en France, ou en Espagne (centrales à cycle combiné gaz) ; ce qui pose question est l'apparition de ces pointes (en partie attribuées au chauffage électrique intégré, mais surtout au chauffage d'appoint) lors des grands froids s'abattant sur un pays dont les habitations souffrent très généralement d'une mauvaise isolation).

Il est souvent dit que la mise en place de la filière nucléaire en France a empêché le développement des filières renouvelables que sont le photovoltaïque ou l'éolien. Au vu du développement actuel des installations sur le territoire français ce n'est sans doute pas un argument ; sans doute l'est-ce plus au niveau des aspects recherche et emploi industriel, mais ce n'est nullement définitif. Par contre, il serait plus légitime de s'interroger sur le rôle néfaste, au moins dans un premier temps (avant que l'on y remédie), de la libéralisation de l'électricité au niveau européen qui a rendu non rentables certaines installations de cogénération à partir du moment où s'offre au consommateur des kWh à bas coûts… qui ne sont pas que nucléaires.

Depuis 2007 [Grenelle(s) de l'environnement] les diverses politiques françaises ont laissé faire (pour certaines) ou activé (sciemment) une démarche tacite ou chantée d'abandon du nucléaire. En particulier la promesse d'une fermeture de la centrale de Fessenheim (présidentielles 2012), l'interdiction de dépasser la limite de 63 GW de puissance nucléaire installée, la limitation de la quantité d'électricité nucléaire produite à 50 % de la production totale française… la fermeture récente de Fessenheim, l'abandon du projet Astrid (réacteur à neutrons rapides) depuis 2017, les déboires de construction de l'EPR de Flamanville… les affirmations de l'ADEME concernant la possibilité des 100 % renouvelables à l'horizon ont laissé perdurer d'idée d'un possible enchanteur en train de réaliser.

2022, le réveil du nucléaire est pourtant là. Le GIEC, l'Agence Internationale de l'Energie, de nombreux énergéticiens et économistes définissent le rôle de l'électricité nucléaire comme moyen de production décarboné, sûr et important… sous la forme de centrales actuelles ou améliorées (EPR), de miniréacteurs modulables, de filières nouvelles (thorium) moins productrices de déchets à vie très longue… le lancement de réacteurs à neutrons rapides, en attendant, les filières de fusion nucléaire.

En France même, les annonces de réveil (que nombreux politiques espéraient) sont à l'ordre du jour. Le nucléaire apparaît en effet comme un moyen essentiel de produire beaucoup d'une électricité pilotable, au minimum complément indispensable des filières renouvelables intermittentes.